Focus #2 – Matières sensibles : Esthétiques de l’inanimé

Mardi 15 octobre, 20h-23h
Aux Laboratoires d’Aubervilliers
Entrée libre


Des relations de plus en plus larges se tissent aujourd’hui entre les êtres humains soucieux de résoudre les crises environnementales qui nous percutent depuis plusieurs décennies. Le tissu est de plus en plus serré et chamarré ; les réflexions, les luttes mettent en jeu au quotidien d’autres façons de vivre, d’être au monde qui soient cohérentes, consistantes, concrètes, tangibles.

Sur le chemin de cette matérialisation, s’accumulent des expérimentations qui font sens, redonnant vie à des envies, des intuitions, des puissances d’actions sans cesse recombinées et réarticulées. À travers des expériences glanées qui mettent en jeu notre relation à la matière par le biais des dispositifs techniques, nous vous proposons durant cette soirée de vous attarder sur ce qui nous lie à la part qui semble inanimée du vivant.

→  Soirée programmée et présentée par Julien Bibard

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Films et performances de la soirée


7 Haïkus for a Turntable
Yann Leguay
[ performance ]

« En écoutant un disque, je me demande souvent si c’est réellement la platine qui fait tourner le disque sur son axe, ou si, finalement, le disque est immobile et c’est la terre entière qui est en rotation au dessous ? »
Avec la performance 7 haïkus for a turntable, Yann Leguay nous propose de prendre de biais, par des chemins de traverses perceptifs, les relations que nous entretenons avec les objets techniques, la matérialité du monde et les lois de la physiques. Utilisée comme un outil de questionnement ludique, la platine vinyle profite de voltes successives pour retrouver toutes ses potentialités subversives. Sous forme d’objets, de créations sonores et de performances, Leguay s’intéresse aux notions de dématérialisation, d’utilisation des interfaces et à tout ce qui concerne la matérialité de la mémoire. Il réalise également des installations, des sculptures et des éditions qui intègrent une approche critique du sens de l’évolution technologique. Son travail a été édité par de nombreux labels tels que ArtKillart, Vlek, Consumer Waste, Tanuki, Third type tapes…

Kokoro is for Heart
Philip Hoffman / Canada / 1999 / 16mm / 7mins
[ court-métrage ]

Le kokoro peut-être traduit par le cœur ou le sentiment amoureux, mais fait aussi référence à toutes les activités humaines qui affectent le monde extérieur par lʼintention, l’émotion et l’intellect. Il décrit aussi bien un organe qu’une relation spirituelle avec l’autre animé ou inanimé. Le film Kokoro is for Heart de Philip Hoffman explore les relations entre le langage, lʼimage et le son, sur fond de gravière.
Le poète Gerry Shikatani y fait des gestes visuels et sonores, venant tantôt à la rencontre de lʼobjectif, tantôt hors de lʼimage… une pierre… une plume, son poème flottant dans les différentes textures qui résident dans l’espace. Le son irrégulier mais rythmé du fonctionnement interne de la caméra fait écho au phrasé et à la reformulation de Gerry. Le film fondé sur l’analogie entre les éléments filmés, les mots et la matière visuelle argentique dégradée notamment par un problème dʼentraînement de la pellicule, crée un sentiment étrange de matérialisation de « litho-mots » sonores qui s’entrechoquent.

Gradiva – Esquisse I
Raymonde Carasco / France / 1978 / 16mm numérisé / 25mins
[ court-métrage ]

Gradiva, corps minéral suspendu dans son mouvement, figé par le travail du sculpteur, fait un pas hors du temps. Tourné à Pompeï par Raymonde Carasco, « l’événement du pas de Gradiva, son effet de ‘vol suspendu’ et de temps cinématographique flottant, se produit ici à l’intersection de plusieurs dimensions : vitesses de prise de vues, lumière et grosseur de plan dans sa dimension de paysagéité. Temps multidimensionnel, ouvert à tous les devenirs, devenir-animal, devenir- molécule, devenir-musique surtout peut-être » (Erres, n° 6, Toulouse, 1978). Car c’est en effet par le montage visuel rythmique qui s’émancipe de la bande son et la répétition d’un motif que le film acquiert une dimension magique propre, nous questionnant sur la temporalité intrinsèque des éléments qui composent chaque plan. Un pas suspendu qui décentre notre appréhension du monde et nous invite à une suspension de nos habitudes perceptives.

Alaya
Nathaniel Dorsky / USA / 1976-87 / 16mm / 28mins
[ court-métrage ]

Pour Nathaniel Dorsky, « l’écran de cinéma est un « personnage parlant » et les images fonctionnent comme une pure énergie plutôt que comme un symbole secondaire ou comme une source dʼinformation ou de narration.». Avec Alaya, il nous invite, en créant une affinité d’échelle, à une rencontre entre le sable, la silice et l’halogénure d’argent, un des éléments constitutif de l’émulsion ; argentique. Brouillant nos repères entre ce qui est représenté et ce qui est le support de cette représentation, il crée un poème visuel réflexif autour de la notion bouddhiste d’Alaya (conscience réceptacle), cette conscience désignant ici autant une partie de la psyché humaine que le support filmique.

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Festival des cinémas différents et expérimentaux de Paris (FCDEP)

Le Festival des cinémas différents et expérimentaux de Paris (FCDEP) est une manifestation annuelle organisée par le Collectif Jeune Cinéma.
Le thème de chaque édition est voté par les membres du collectif et la sélection résulte d’un travail collectif d’expertise de films expérimentaux en provenance du monde entier. Le festival promeut des cinématographies tendues vers un pur acte créatif, et accompagne le public dans ses découvertes par une production éditoriale.
Un jury délibère publiquement des critères permettant de discerner les œuvres les plus réussies. Ainsi, depuis 1999, le festival s’est imposé dans l’espace culturel national comme un lieu de rendez-vous important avec la création cinématographique, et voit augmenter chaque année sa renommée internationale comme en témoigne le grand nombre de films qui nous sont proposés. L’histoire du festival est indissociable de l’histoire de la coopérative de distribution de films Collectif Jeune Cinéma.

Le thème de cette année, la 26e édition du festival, est intitulé : « Ecologie = jardinage + luttes des classes ». 

« L’écologie sans lutte des classes, c’est du jardinage », slogan devenu célèbre du syndicaliste brésilien Chico Mendès. Soyons mathématiques. Si c’est vrai, on peut reformuler autrement : “Écologie égale jardinage plus lutte des classes”. Les additions, l’articulation des forces, c’est toujours mieux pour combattre les dévastations qui nous guettent, qu’elles soient environnementales ou fascistes. Mais cette formule ne peut fonctionner que si l’on entend ces termes dans leur définition large. Comprenons donc jardinage comme décrivant toutes les manières de cultiver les relations entre humains et non-humains (animaux, plantes, terres, etc.). Pensons aussi en termes DES luttes des classes, intersectionnelles, contre toutes formes de domination (socio-économiques, hétéro-patriarcales, coloniales, etc.). Addition, alors, qui implique d’élargir la focale sur nos luttes, voir comment elles s’imbriquent dans un contexte encore plus vaste que ce que l’on pensait, peut-être y découvrir des allié.e.s insoupçonné.e.s, invisibilisé.e.s jusqu’alors. Addition qui pousse aussi à regarder de plus près ces êtres qui peuplent le monde qui nous entoure, et y reconnaître des rapports de force qui sont étrangement familiers. Recadrer nos perspectives, donc : voir autrement, étrangifier ce qui semblait familier, familiariser ce qui nous était étranger, rendre visible ce qui était invisibilisé, découvrir des liens souterrains entre les êtres et comment leurs existences peuvent se superposer. Tout cela, le cinéma – et surtout les cinémas différents et expérimentaux – sait le faire.

→  Visiter le site du festival

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Un événement organisé par le Collectif Jeune Cinéma, dans le cadre du Festival des cinémas différents et expérimentaux de Paris (FCDEP)

Le CJC bénéficie du soutien du CNC, de la DRAC Île-de-France, du Conseil Régional d’Île-de-France et de la Ville de Paris.